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Réseaux sociaux :

mon moi digital VS mon moi réel

Étranges phénomènes que ceux des paradoxes humains inhérents aux réseaux sociaux. On critique, mais on clique. On sait que tel lien est un piège mais on y fait un saut... Mais, qu'est ce qui nous pousse à être si ambivalents dès lors que l'on fréquente le Net ? Enquête.

Appartenance VS Individualité 

 

Les réseaux sociaux comptent 3,8 milliards d’utilisateurs dans le monde selon le rapport 2020 We are social. Nous en sommes tous la preuve vivante : depuis quelques années, notre besoin d’interagir a été décuplé du fait des réseaux sociaux. L’homme est un animal social nous explique Bertrand Naivin, théoricien, écrivain et artiste « un simple récepteur des lois qui étaient dictées par une sphère politique est devenu avec les démocraties un citoyen acteur et a un pouvoir d’influence plus important ».

 

Si chaque individu donne son opinion, il participe à un mouvement, affirme ses choix et par la même occasion, son identité. Lorsqu’un internaute s’inscrit sur un réseau social, il crée une identité digitale et s’exprime à travers elle. Il peut créer un avatar, choisir son pseudo ou personnaliser ses interfaces. Roseline Arbelet psychologue et psychanalyste nous explique ce phénomène « Avant l’apparition de Facebook en 2004, nous avions tendance à regarder les médias traditionnels pour nous informer. Ils faisaient office de représentation. Nous n’avions pas ce réel où les gens se filment dans leur quotidien. Aujourd’hui, on a une interactivité, on rentre dans l’intimité. À l’époque quand on voulait des informations sur ce qu’était une femme, on allait acheter un magazine féminin. ». Pour construire nos identités, nous nous inspirons de modèles dès l’enfance. Ce rôle est incarné par nos parents. Puis, on se dirige vers d’autres personnalités comme les célébrités ou vers les influenceurs « On s’identifie à ces personnes. Si on n’a pas eu ce modèle dans la vie réelle, on l’aura dans la vie virtuelle. » poursuit Roseline Arbelet.

 

Cela peut soulever un autre paradoxe car l’identité est unique. Par souci de vouloir appartenir à un cercle, les réseaux nous poussent au conformisme. Nous nous inscrivons pour partager et pour faire de nouvelles rencontres. D’un autre côté, nous sommes influencés par le souci de validation sociale. C’est-à-dire entrer dans le moule.  En publiant sur les réseaux sociaux, nous nourrissons notre narcissisme. Avital Denan Thieulin, psychologue spécialiste des réseaux sociaux nous rappelle l’essence des besoins humains à travers la théorie de Maslow « Il y a les besoins physiologiques c’est-à-dire dormir, manger, boire, s’habiller. Ensuite il y a les besoins de sécurité, d’appartenance, d’estime et d’accomplissement. Être sur les réseaux sociaux nous permet de répondre au besoin d’appartenance et d’estime. Le besoin de validation sociale est étroitement lié au besoin d’appartenance parce qu’il augmente nos chances de survie du point de vue de l’évolution. Donc d’un côté nous avons les besoins d’appartenance et d’estime et de l’autre on a la physiologie du corps avec la libération de dopamine. ». La dopamine est le neurotransmetteur qui active notre circuit de récompense. Combinée au besoin de validation sociale, elle nous pousse à liker, commenter et à vouloir être apprécié. Mais un autre dilemme se pose. Celui de la persévération de notre intimité. 

  

Discrétion VS Exposition

 

Le phénomène de pression sociale qui nous encourage à poster soulève aussi la question de confusion entre identité réelle et identité virtuelle. « D’un point de vue psychologique, elles peuvent être fantasmatiques » selon Avital Denan Thieulin. Certains témoignages d’utilisateurs en consultation reconnaissent qu’ils se comparent à ce qu’ils peuvent voir et certains oublient même qui ils sont. Ainsi, pour se montrer sous leur meilleur jour, les utilisateurs font des selfies et mettent des filtres sur leurs photos pour améliorer le rendu final. Le filtre cache notre identité et en crée une nouvelle « c’est un masque qui vient nous cacher. C’est aussi peut être une manière de camoufler notre fragilité au monde. » pour Roseline Arbelet et c’est aussi valable avec les selfies « on surjoue un autre. Avec les filtres, on en arrive même à être en face d’un autre. » poursuit Bertrand Naivin.

 

Si nous partons du principe que le filtre est un masque qui nous embellit et qui nous « cache », ne serait-ce pas une forme de contrôle sur ce que l’on poste ? Avital Denan Thieulin, explique que l’on peut contrôler sa e-réputation. C’est plus difficile pour le fil d’actualité « Facebook a mené une expérience pour voir comment les émotions auxquelles les utilisateurs sont confrontés influent sur l’humeur. Si on savait déjà qu’une interaction directe entre deux utilisateurs peut influencer la nature de leur prochain post alors l’interaction indirecte qu’est la lecture peut aussi avoir des conséquences sur l’humeur. C’est pour cela que ça s’appelle la « contagion émotionnelle ». Il y a des choses que l’on peut contrôler mais c’est un algorithme qui nous connaît et on peut être manipulé ».

 

Qu’en est-il du libre arbitre ? Tous s’accordent pour dire que nous sommes sans cesse attirés vers notre smartphone. Cette pression sociale s’accompagne du phénomène du FOMO (Fear of missing out) ou la peur de manquer une information.  Pour Bertrand Naivin, nous avons besoin de nous montrer « quel que soit l’activité qu’on fasse ou où qu’on aille, on a cette petite voix qui dit « tiens il faut que je me prenne en selfie ». Pour Roseline Arbelet, nous ne sommes plus consultés « Sur Youtube tout est fait pour que vous n’ayez plus de pouvoir sur vous-même. Ça ne demande aucune action. Sur Tik Tok c’est pareil, c’est donc dangereux. On ne peut même plus se poser la question « est ce que je veux continuer à regarder ? » on nous dépossède même de notre pouvoir de choix. ». C’est pour cela qu’Avital Denan Thieulin précise que c’est à nous d’être maître à bord. « Quand on va sur notre smartphone alors que l’on fait une autre activité, nous sommes interrompus ce qui est psychologiquement et physiquement fatiguant. Finalement c’est notre téléphone qui décide quand est-ce que nous devons le regarder. Or c’est à nous de prendre cette décision. ». Avec le recul, les spécialistes encouragent à l’éducation sur l’usage du smartphone et des réseaux sociaux.

 

Sensibiliser

 

Dans leurs cabinets, les deux psychologues observent les conséquences de l’utilisation des réseaux sociaux et du smartphone sur le comportement de leurs patients. Les problèmes sont à la fois physiques avec des symptômes comme la « tendinite du pouce » (ténosynovite) liée à l’envoi de textos ou le syndrome de l’œil sec en lien avec l’usage d’écran. En revanche, les constats majoritaires se font sur le plan social. Par exemple, Roseline Arbelet observe chez ses patients une tendance à la comparaison mais également à la jalousie au sein des relations amoureuses. « Avant on coupait avec son ex-partenaire en effaçant son numéro et c’était réglé. Depuis Facebook et Instagram, il reste des traces numériques. On peut donc tous se trouver les uns les autres. Il y a cet effet de stalking dont les gens me font part. ».

 

Mais face à ces dérives, nous pouvons constater chez les utilisateurs une prise de conscience qui dans les cas les plus extrêmes les poussent à aller consulter. « Ça fait à peu près 2 ans qu’on commence à en parler et cette année c’est vraiment un sujet viral c’est-à-dire que tout le monde en parle. Les parents sont conscients, il y a ces émergences de groupes, d’associations et de beaucoup d’initiatives… il y a une prise de conscience qui nous permet d’avancer dans le bon sens à 10% mais nous avons encore 90% de choses à faire. » Avital Denan Thieulin.

 

Selon les spécialistes, il est encore possible de concilier vie réelle et virtuelle si nous nous imposons une hygiène de vie adéquate. « Serge Tisseron, psychiatre et addictologue a proposé un programme nommé le 3-6-9-12 qui permet de cadrer et d’accompagner l’apprentissage des écrans à tous âges. Il y a également le professeur Laurent Karila qui conseille de supprimer les notifications en fonction de ses besoins et ne pas se forcer de répondre à la seconde. Il faut s’apercevoir que l’on a les symptômes : ne penser qu’a son smartphone, l’utiliser de manière compulsive et excessive et y passer beaucoup de temps. Comme pour l’alcool on ressent un manque et on se sent mal quand l’appareil n’est pas là. On est irritable, impatient. Après, nous augmentons les doses de connexions pour retrouver le plaisir des premières fois, on ressent une urgence de se connecter. Ensuite on utilise le smartphone à visée thérapeutique pour penser à autre chose. » explique Avital Denan Thieulin. Roseline Arbelet conseille aussi de « faire un contrat avec soi-même ». Si « nous nous sommes technologisés. » comme le précise Bertrand Naivin, de plus en plus d’utilisateurs se réveillent. Sensibiliser et réguler l’utilisation des réseaux sociaux et des smartphones se place comme un objectif à atteindre. La voie pour la reprise de contrôle sur nos existences digitales s’ouvre lentement mais sûrement.

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¬ Marina Spada

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